Nous rencontrons Yolande Geadah. C’est une pionnière dans le secteur de l’éducation populaire. Au confluent des engagements personnels, des responsabilités de génération et des choix pour opérer les changements nécessaires à l’évolution de notre société, Yolande Geadah, a, au cours des trente dernières années, maintenu le cap. Animée par des convictions profondes en faveur des droits des plus démunis, militante des droits des femmes et pour plus de justice dans les relations internationales et dans les rapports entre les peuples, Yolande Geadah ne fait pas de concessions.

Au sein de structures légères, mais efficaces, d’organismes de coopération, de coalitions de défense des droits des femmes, de départements universitaires, puisque Yolande Geadah a étudié tout en travaillant. Elle a une formation académique multidisciplinaire dont une scolarité de doctorat en sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal. Elle développe, au fil des ans, une présence sociale originale. Elle œuvre en première ligne avec discrétion, elle a d’abord défriché des espaces sur le terrain des relations interculturelles, avec quelques autres, afin de créer de nouveaux rapports entre les principales composantes de notre société.

Elle est active, productive et créative, elle est franche à propos de sa motivation : C’est en arrivant au Québec, en 1967, que j’ai découvert pour la première fois les préjugés nombreux à l’endroit de l’Islam, des Arabes, et des femmes arabes en particulier. J’étais révoltée par les images négatives concernant les peuples arabes et musulmans. Je me suis donc engagée à fond, avec d’autres, dans l’éducation interculturelle, à travers des articles, des conférences, ainsi que l’organisation de soirées de poésie et de cinéma sur le monde arabe.

Un climat social et le débat qui s’est développé sur les questions de la laïcité et de la confessionalité des institutions scolaires, sur l’intrusion d’éléments à connotation religieuse dans les écoles, Yolande Geadah a choisi la réflexion et l’éducation : Quand le débat entourant le port du voile à l’école au Québec a surgi dans les médias en 1994, la confusion et les préjugés entourant l’Islam étaient à leur comble. Entre l’insistance des uns sur le droit de porter le voile à l’école, et la xénophobie des autres, poussés par la peur, qui voulaient l’interdire, je trouvais que le débat manquait de nuance et de profondeur. Je décidais donc d’écrire un essai pour clarifier les enjeux qui se cachent derrière le voile, devenu le symbole du mouvement intégriste. Aujourd’hui, ici comme ailleurs, ce n’est pas le droit de porter le voile qui est menacé, mais plutôt le droit de refuser de le porter. Je salue donc le courage de toutes les femmes musulmanes qui refusent de porter le voile, malgré les pressions sociales, tout en respectant le sentiment religieux qui anime les autres. Avant d’être une menace pour l’Occident, l’intégrisme islamique est d’abord une menace pour les droits et libertés des femmes musulmanes, et des hommes aussi qui refusent cette vision étriquée et déformante de l’Islam.

Énergie fulgurante, Yolande Geadah a bâti, à force de conviction et de détermination, une somme de réalisations que nous considérons plutôt comme un palmarès : Co-fondatrice dans les années 1970 à Montréal du Cercle de la culture arabe, qui a été le premier groupe au Québec à organiser des soirées d’information, de poésie, de cinéma, et de conférences, pour faire connaître aux Québécois la culture et la civilisation arabe. Puis, co-fondatrice du Centre d’études arabes pour le développement diffusant information, recherches et documentation

et fournissant le soutien à des projets de développement dans le monde arabe.

Ce dernier a été fusionné dernièrement à un organisme nommé Alternatives. Actuellement, Yolande Geadah est chargée de programmes à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). Professionnellement, elle a aussi d’autres engagements : recherche et publications diverses sur les femmes dans la culture arabe et musulmane, coopération outre-mer auprès des femmes et des jeunes en milieu rural en Égypte, consultante auprès de diverses agences de développement international telles que l’Agence Canadienne de Développement International, le Programme des Nations Unies pour le Développement, le Fonds des Nations Unies pour la Population. Spécialisée dans la formation sur l’analyse de genre et développement et le développement de stratégies visant à favoriser l’égalité entre les sexes, Yolande Geadah a participé à l’organisation de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 contre la pauvreté et la violence faite aux femmes.

En 1996, Yolande Geadah a publié son premier essai Femmes voilées, intégrismes démasqués qui a connu un franc succès. Mis en nomination pour le Prix du Gouverneur général de 1997, ce livre a été retenu parmi les finalistes dans la catégorie essai. Dans le contexte que nous connaissons, cet essai mérite d’être réédité; celles et ceux qui l’ont lu sont d’accord tellement sa lecture a ouvert des horizons de compréhension.

L’avenir des relations entre la majorité et sa communauté d’appartenance, une de ses communautés, car Yolande Geadah est une citoyenne complète membre à part entière de la société : Il est certain que l’attentat contre le World Trade Center du 11 septembre 2001 a projeté l’intégrisme islamique à l’avant-scène de l’actualité. Elle va plus loin : Nous avons tous et toutes été profondément bouleversés devant cet acte terroriste, qui a fait plus de 6000 victimes innocentes à New York. Le fait que les auteurs présumés de cet attentat soient d’origine arabe et musulmane fragilise les relations entre la majorité et les communautés arabes ou musulmanes vivant ici. D’où l’importance primordiale de notre engagement individuel et collectif pour influencer l’opinion publique et les politiques canadiennes dans le sens du respect du droit international. Ce dernier est bafoué en ce moment par le déploiement militaire en Afghanistan, qui fera des milliers de victimes innocentes, avec peu de chance d’arrêter les vrais coupables.

Sur le fond, Yolande Geadah est lucide, vision éprouvée qui nécessite de tous le sens des responsabilités : Le danger, c’est que cette guerre inutile ne fera qu’exacerber davantage l’antagonisme des peuples de la région à l’endroit des puissances occidentales, ce qui alimentera le cycle infernal de la violence. Je crois que nous avons plus que jamais, tous et chacun, la responsabilité de construire des ponts de solidarité entre la communauté d’accueil et notre communauté d’origine pour favoriser une paix durable. Celle-ci doit être fondée sur la justice sociale qui exige une meilleure répartition des richesses et le respect des droits humains de tous. Une vérité toute simple émerge des débris fumants du World Trade Center : nul ne peut prétendre à la sécurité, tant que d’autres peuples seront plongés dans l’insécurité totale !